Tout à l'heure, vers minuit, en roulant sur la freeway pour rentrer chez moi, dans la banlieue de Los Angeles, m'est venue spontanément une idée étrange en passant sous le panneau indiquant la voie pour San Diego.

Et si je ne rentrais pas chez moi ?

Et si j'allais à San Diego pour le week-end ? Je veux dire... Directement. Sans prendre d'affaires chez moi. Sur un coup de tête.

J'avais sur moi mon portefeuille et de quoi payer deux nuits d'hôtel. Je me serais acheté sur place de quoi me changer.

Pourquoi je ne l'ai pas fait ? Les raisons pour me donner bonne conscience : 1° j'attends un coup de fil demain, donc il faut que je sois chez moi ; 2° je suis fatigué ; 3° je n'ai plus d'essence ; 4° je ferais mieux de me renseigner un peu sur San Diego avant d'y aller, et le guide du Routard est chez moi. Que des choses vraies. Mais pas des raisons : 1° j'aurais pu passer moi-même le coup de téléphone depuis San Diego ; 2° je n'étais pas fatigué au point de ne pas pouvoir conduire deux heures ; 3° je n'avais qu'à reprendre de l'essence ; 4° l'idée d'arriver dans une ville sans rien en savoir et de tout découvrir me plaisait aussi.

Alors quoi ? Quelle est la vraie raison pour laquelle je ne suis pas resté sur cette voie pour San Diego ? Parce que depuis le moment où je suis monté dans ma voiture, et même avant, mon esprit était sur des rails qui lui dictaient que quand on rentre chez soi un vendredi soir, eh bien... c'est chez soi qu'on rentre. Parce que les habitudes sont une plaie. Parce que la paresse est un obstacle. Et parce que l'inconnu fait peur.

Mais je garde l'idée dans un coin : désormais, quand je prendrai ma voiture, ce ne sera plus pour aller quelque part... Ce sera pour partir d'où je suis.

Sans rails.